Agroforesterie : investir dans un verger-maraîcher

Dans le cadre du projet SMART lancé en 2014 par l’Afaf (Association Française d’Agroforesterie) et le Groupement de Recherche en Agriculture Biologique d’Avignon (Grab), un réseau national de parcelles associant maraîchage et agroforesterie avait été constitué pour faciliter les échanges entre ces agriculteurs innovants et évaluer la performance économique et écologique de leurs systèmes de production. En métropole, une quarantaine de sites avaient intégré la boucle, dont trois en Maine-et-Loire à Durtal, La Membrolle-sur-Longuenée et Combrée. Quel bilan tirer de cette expérimentation à grande échelle ?

Les maraîchers qui souhaitent diversifier leur production pour s’assurer des débouchés annuels réguliers et se prémunir contre le risque d’un accident climatique ou d’une chute cyclique des cours affectant une partie de leur récolte, voient dans l’agroforesterie une formule capable de leur garantir une certaine stabilité économique. Il s’agit, dans la plupart des cas, de faire cohabiter sur la même parcelle des arbres fruitiers et des cultures légumières, un concept très souvent résumé sous le terme « verger maraîcher ».
Entre 2014 et 2017, ce système mixte a été expérimenté dans le cadre du projet national initié par l’Afaf (Association Française d’Agroforesterie) et le Grab d’Avignon (Groupement de Recherche en Agriculture Biologique) grâce à l’apport de fonds publics issus du dispositif Casdar, un compte d’affectation spéciale « développement agricole et rural » alimenté par une taxe sur les exploitations. Ce programme de sensibilisation, dit Smart (pour Systèmes Maraîchers en Agroforesterie : création de Références Techniques et économiques), autour duquel 16 partenaires de la recherche, du développement et de la formation se sont mobilisés, visait à mettre en réseau ces producteurs –encore peu nombreux – qui ont choisi d’implanter un verger-maraîcher sur une ou plusieurs parcelles. Une quarantaine de sites a fait l’objet d’un suivi technique en métropole, dont trois dans le seul département de Maine-et-Loire : à Durtal, Combrée et La Membrolle-sur-Longuenée, le type d’association choisi comprenait, sur la même surface, des légumes de plein champ et des espèces fruitières  (pommiers, poiriers, cerisiers, pruniers, abricotiers, pruniers, pêchers et figuiers).

Le clos Frémur (49)

Un bilan global a pu être tiré à partir des données recueillies dans le projet Smart. Il figure dans un rapport de juin 2017, rédigé par des acteurs de l’Afaf et du Grab (cités plus haut), mais aussi d’autre spécialistes issus de la Chambre Régionale d’Agriculture de Normandie, de l’Institut Technique de l’Agriculture Biologique (Itab) et de l’association Les Bios du Gers. Nous retiendrons trois points :

Les atouts agronomiques et environnementaux

Nos articles précédents ont déjà détaillé les bienfaits  de l’agroforesterie en termes de fertilisation des sols et d’optimisation des ressources hydriques. L’effet brise-vent des alignements d’arbres ou des haies protège également les cultures contre l’érosion éolienne et les préserve d’une exposition directe aux fortes variations de température, ce qui limite d’autant leur stress climatique : en hiver par exemple, les arbres légumineux intercalés avec les essences fruitières endossent la fonction d’abris et modèrent l’impact du gel, de même qu’ils accélèrent la fonte des neiges. D’après le chercheur et doctorant en agroforesterie Pierre Labant, cette couverture naturelle induirait dans les systèmes de verger-maraîcher un surcroît de rendement « de 5 à 30% » selon les régions et les saisons  (source : « Principes d’Aménagement et de Gestion des Systèmes Agroforestiers – Replacer l’arbre champêtre au cœur des objectifs agro-économiques, environnementaux et paysagers, des exploitations agricoles », 2009). Mieux : le niveau d’ombrage déployé par les arbres, combiné à leur effet coupe-vent,  accroit, toujours selon Pierre Labant, le taux d’humidité dans l’air et réduit du même coup le volume d’irrigation nécessaire au développement des cultures.

Prime au linéaire

La totalité des vergers-maraîchers observée dans le projet Smart, de taille assez modeste pour la plupart d’entre eux (moins de 5 000m²), ont opté pour une plantation classique où plusieurs planches de légumes alternent avec une,  voire deux bandes boisées.  Dans leur majorité, les producteurs distribuent leur plantation en 1 rang sur 2, une technique qui permet de conserver « une face de l’arbre sans culture au pied ». Cette disposition est privilégiée à dessein car elle libère en permanence un espace sur un côté pour le travail d’élagage et facilite l’accès des tracteurs à la parcelle « sans rien abîmer ».

Le calcul de la distance d’écartement entre chaque rang et à l’intérieur des lignes d’arbres répond en général à des impératifs, sinon esthétiques, du moins pratiques liés au gabarit des engins agricoles à manœuvrer, comme au type de système maraîcher exploité : les mesures retenues tiennent compte du degré d’importance du travail au sol à effectuer sur la parcelle et du niveau de mécanisation des différentes opérations (binage, récolte etc…).
L’intervalle entre les rangs « doit également être réfléchi en fonction de la région d’implantation (en lien avec l’intensité de la lumière et la sécheresse estivale) » souligne encore le rapport du projet Smart : dans le sud de la France, où l’ensoleillement est plus fort, « un écart de 8 mètres au minimum » est conseillé afin d’éviter « trop de concurrence » entre les plants et ouvrir « des largeurs de planches adaptées au matériel agricole ». Au nord de la Loire, la distance minimale sera portée à 10 mètres afin de desserrer l’imbrication entre fruitiers et légumes. Ces fluctuations prennent également en considération les espèces d’arbres complantées et une prévision de leur hauteur finale, laquelle détermine l’envergure de leur ombre projetée sur le sol.

Quelles combinaisons ?

La conception et la gestion d’un verger-maraîcher ne tolèrent aucune sorte d’improvisation. Sur une parcelle agroforestière, le jeu perpétuel de l’ombre et de la lumière nécessite une connaissance approfondie des besoins réclamés par chacune des espèces fruitières et potagères qui sont amenées à y cohabiter. Les associations culturales ne doivent pas être fixées de manière anarchique, ni leur répartition se faire au petit bonheur la chance ! Pour résumer : il faut trouver les bonnes interactions, et faire en sorte que le développement des uns ne se fasse pas au détriment des autres. Il s’agit, par exemple, d’identifier les essences les moins réceptives à la récurrence de l’ombre dans le processus de photosynthèse et les distinguer de celles qui, au contraire, demandent un emplacement abondamment parcouru par la lumière. La capacité d’enracinement de chacune des variétés de légumes devra aussi être évaluée afin que leur croissance ne se trouve pas freinée par l’amplitude souterraine d’un arbre qui pousse à proximité d’elles. Le rapport Smart opère une esquisse de classification en fonction des propriétés spécifiques aux espèces étudiées : « les salades, les asperges,  les radis, la rhubarbe ou le céleri-branche » possèdent une bonne tolérance à l’ombre, au contraire des légumes-fruits, tomates, poivrons, courges et aubergines qui préfèrent les « zones ensoleillées ».

Dans un contexte de tension sur les marchés du foncier agricole, la mise en place de nouveaux systèmes de production associant, sur de petites surfaces, différents types de cultures, suscite un intérêt croissant chez les agriculteurs soucieux de diversifier leurs sources de revenus dans un respect plus strict de l’environnement. Encore rare à l’échelle nationale, le « mix » arboriculture/maraîchage apparaît aujourd’hui comme un modèle envisageable pour qui souhaite s’engager dans un projet agroforestier solide et cohérent. Si la formule doit encore faire ses preuves sur le plan de la rentabilité économique, ses avantages agro-écologiques sont éprouvés par l’expérience de terrain (Smart) et étayés par des retours d’experts  : meilleure disponibilité en eau, augmentation de la matière organique stockée dans le sol, climat des cultures, maintien de la biodiversité, amélioration de la valeur patrimoniale des parcelles, atténuation du réchauffement climatique

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