La longue odyssée du radis

Le petit bulbe rouge à chair blanche et charnue qu’on déguste à la croque-au-sel est le fruit de multiples croisements et hybridations opérés par la main de l’Homme à partir du XVIIIème siècle. Mais la source botanique de ce légume-racine, vanté depuis des siècles pour ses qualités nutritionnelles et ses vertus médicinales, remonte beaucoup plus loin la grande échelle du temps et de l’espace.

Sur la longue frise chronologique des civilisations humaines, il a coché toutes les cases, traversé toutes les époques et résisté aux méandres, parfois brutaux, des évolutions climatiques. Il fut, excusez du peu, le contemporain des sept merveilles du monde et a côtoyé leur ultime rejeton, la grande pyramide égyptienne de Khéops, érigée par des bâtisseurs qui, pour démentir la légende colportée par Astérix quelque 4000 ans plus tard, n’infligeaient pas à leur estomac une diète de lentilles mais agrémentaient, en marge de leur chef-d’œuvre, leurs hors d’œuvre d’un assortiment d’oignons, de poireaux et… de radis (noirs) afin de se sustenter comme il se doit entre midi et deux.

Ce radis d’antan n’avait pas grande chose à voir avec le radis de 1966 que déguste, avec pédanterie, le faux client tyrannique du Grand Restaurant, incarné par de Funès dans le film du même nom. À l’époque des pharaons et au moins jusqu’à la fin du Moyen Âge européen, le tubercule révèle, sous son aspect empâté, biscornu et rêche, proche du raifort actuel (d’ailleurs classé dans la même famille que lui, les brassicacées ou crucifères), un piquant beaucoup plus prononcé qu’aujourd’hui. Sa peau épaisse affiche, de surcroît, un noir d’encre qui rappelle, à sa manière, celui du boudin ou un blanc légèrement gâté, comme la daïkon japonais. Au XIIIe siècle de notre ère, Albert le Grand, naturaliste qui se revendiquait aussi alchimiste, prêtait à ce radis d’hiver un étrange pouvoir, celui de rendre hermétique au feu quiconque en absorbait le jus, à condition de mélanger le liquide à une potion composée de blancs d’œufs et de graines de psyllium.

Cette croyance médiévale venait couronner des millénaires de conjectures à propos des bienfaits médicinaux -réels, supposés ou, plus fort encore supposément réels- prodigués par la petite rave, tour à tour qualifiée d’antitussive et d’antihémorragique. Elle fut même prescrite à hautes doses sitôt que des phytothérapeutes -en herbe bien sûr- l’indiquèrent dans le traitement de troubles nerveux et digestifs. Excellente réputation qui valut au radis de faire une riche carrière chez les Grecs où il fit office d’offrandes de luxe à l’Apollon. En Asie du Sud, le dieu-éléphant hindou Ganesh s’en vit, lui aussi, administrer des quantités industrielles, pour les mêmes motifs métaphysico-spirituels.

Outre l’Égypte, le Japon et l’Europe qui exporta la racine (« radix » en latin) aux Amériques dès le début de la colonisation espagnole, nombre de sources écrites et témoignages artistiques ou religieux (des statues notamment représentées avec un radis noir, symbole de virilité) attestent la présence du Raphanus, dès le début de notre ère, au Bangladesh, au Cambodge, au Népal ou encore en Chine.

Des atomes crochus avec la ravenelle ?

Une telle diaspora planétaire a durci la tâche des botanistes et leur coûta quelques poignées de cheveux, du moins pour ceux qui, parmi les plus hirsutes, entreprirent de dresser l’arbre généalogique de la plante en vue d’établir une filiation scientifique et géographique avec un type sauvage qui, dans des âges très reculés, en aurait constitué la « souche » génétique. Un premier faisceau de théories échafaudées de longue date a été plus ou moins battu en brèche, faute d’indices irréfutables : L’une d’elles tendait à voir dans la ravenelle (ou radis sauvage ordinaire, dont l’origine varie, selon les sources, du bassin méditerranéen à l’Asie) une ascendance plausible, mais des différences jugées incompatibles entre les deux individus (couleurs des fleurs, disposition des siliques et capacités inégales à résister au froid) ont d’abord mis en doute puis définitivement relégué cette piste aux oubliettes au tournant du XXème siècle. En 1927, le botaniste suisse Albert Thellung avait tenté de démontrer un lien, qu’il jugeait plus sérieux, entre le radis cultivé (Raphanus sativus) et deux sous-espèces de la ravenelle, dont l’une, le Raphanus Rostratus localisé entre « Grèce, Syrie et mer Caspienne » présente les mêmes fleurs violacées que lui.

Beaucoup d’autres thèses réactivent le germe asiatique et tissent des parentés directes avec le radis de Madras et autres radis-serpent ou « mougri de Java » (Raphanus sativus var. caudatus), une espèce sauvage qui pousse spontanément en Indonésie depuis des millénaires, et dont on consomme les fruits plus que la racine. Dès le siècle dernier, certains chercheurs ont décelé chez ces deux plantes d’Extrême-Orient et les radis cultivés sous nos latitudes des traits communs, « au moins par la structure de leurs cosses respectives et, plus globalement, tous leurs caractères de végétation ».

C’est donc au XVIIIe siècle que les hybridations ont donné naissance à plusieurs variétés, souvent plus petites que leurs pairs historiques (l’Italie aurait été pionnière dans ce registre dès l’époque de la Renaissance), mettant fin au règne sans partage du gros radis noir, lequel émargeait toutefois moins dans les livres de cuisine que dans les grimoires des guérisseurs qui, on l’a dit, le paraient de mille vertus médicinales.

Et aujourd’hui ?

Le Catalogue européen répertorie aujourd’hui environ 400 variétés de radis. Sa version française en compte une cinquantaine… On les distingue très souvent par leurs formes (ronde, demi-longue ou longue), la couleur de leurs racines (du blanc au noir, en passant par le rose, le rouge vif ou encore le violet). Une autre classification prend en compte la durée de culture et la saison à laquelle la récolte s’effectue.

En guise de conclusion, brossons, en un rapide coup d’œil, quelques variétés emblématiques de ce légume-racine aux ramifications nombreuses et multiformes.

Parmi les radis dits « de tous les mois » (semis de mi-mars à fin septembre), citons le « radis de 18 jours» et le «Flamboyant».

collection de radis asiatiques
Les radis asiatiques offrent un mélange de formes et de couleurs très intéressant.

Le « violet de Gournay » entre dans la catégorie des radis rave. Leur période de végétation s’étend également de la fin de l’hiver au début de l’automne et leur récolte débute 6 à 8 semaines après le semis.

Le radis Rose de Chine est un radis d’été et d’automne, semé de juin à août et récolté de septembre à novembre.

Même cycle de culture pour le radis noir gros rond d’hiver (à partir de juin pour le semis, et jusqu’à novembre pour la récolte), à ceci près qu’il présente une bonne capacité de conservation durant toute la saison froide.

Vous trouverez sur le site de La Bonne Graine bon nombre de radis dont les désormais très cotés radis « asiatiques » : Red Meat, Green Meat et, un de nos préférés pour sa magnifique couleur : le Blue Candle F1.

2 commentaires Ajoutez le votre

  1. Demellier Carole dit :

    Bonjour, c’est un plaisir de s’enrichir intellectuellement en lisant une si belle plume.
    Je me suis délectée avec la langue de Molière dont c’est d’ailleurs l’anniversaire (400 ans, plus jeune que le radis 😉) avant de me régaler des fruits et légumes de mon petit jardin issus de vos graines de qualité.

  2. Durdur dit :

    C’est toujours un plaisir de lire l’évolution des fruits et des légumes au cours du temps. Cela relativise notre ‘importance’ dans cette évolution. Bien cordialement

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