Le framboisier, un passe-partout !

Un sacré gaillard : le framboisier est un arbuste très rustique qui s’adapte à tous les types de sols, supporte la quasi-totalité des climats et résiste aux froids les plus rugueux. Un bel individu qui s’offre au plus grand nombre, rouvre les serrures de l’enfance et remonte le temps des dimanches à la campagne.

Il est des fruits qui transportent avec eux de vagues et lointaines réminiscences. Des souvenirs évaporés et sourds embaumés de parfums de cuisine d’où s’étire un film d’images croquées au ralenti, comme un long flash-back rouge et sucré : celui d’un doigt plongé dans le pot de confiture, d’une barquette bien garnie à portée de main dans la lourde carlingue du frigidaire, d’une chanson de Bobby Lapointe qui tourne et craque sur l’électrophone le temps que la tartelette de grand-mère sorte chaude du four (les plus jeunes citeront plus volontiers Prince et son  non moins célèbre « Raspberry Beret »).

la framboise bien au chaud dans son duvet

Des framboises façon sucettes

La framboise est de ces fruits-là, qui mêle à la vigueur de son arôme d’enfance l’étrange sensation d’une pâte velue et veloutée, presque unique en bouche : il faut un œil de lynx pour distinguer à sa surface la légère nappe de duvet duquel surgit parfois les restes desséchés du stigmate, un des composants de l’organe reproducteur, le pistil, par où le pollen transite (voir ci-dessus) . Mais la nature a horreur du vide et ne fait jamais les choses au hasard : aussi cette fine pellicule, si douce au toucher et insignifiante à la vue contribue-t-elle, le moment venu, à protéger la plante des effets générés par certains éléments extérieurs : elle retient le gel et les excès d’humidité et atténue les flux d’air propres à accroître l’évaporation.

Le framboisier a ceci de commun avec la ronce des bois, dont on tire la mûre, qu’il développe, comme elle, une infrutescence reconnaissable à sa texture bosselée par une succession de petites bulles pulpeuses : il s’agit en fait d’un agglomérat parfaitement ordonné de 40 à 80 drupéoles* -des micro-fruits – serrées les unes contre les autres et accrochées ensemble à un même réceptacle (un gynophore conoïde). A leur base, une fois retiré le sépale et le pédoncule, s’ouvre une cavité qui a si bien inspiré la créativité de la jeune Amélie Poulain dans un instantané célèbre de son film éponyme : le rite consiste à ficher dix framboises sur chacun des doigts de la main et de les saisir par la bouche afin de les y engloutir une à une… telle une rangée de friandises disposées sur des bâtonnets.

Manger des framboises à la mode d’Amélie Poulain

Ce faisant, la protagoniste, est sans doute loin de s’imaginer qu’elle se goinfre…de ronces ! Ces innocentes polydrupes ovales à la chair juteuse proviennent en effet d’une plante qui pointe au même cercle familial – les Rosacées – que d’autres arbustes aux noms piquants, comme l’aubépine, la ronce commune évoquée plus haut, et la rose évidemment. La tribu, d’une très grande importance économique, accouche aussi de la plupart des fruits cultivés et consommés sous nos latitudes tempérées, qu’ils soient à noyaux ou à pépins : liste abondante où se bousculent en vrac cerises, abricots et pêches, mais aussi les fraises, les coings, les amandes et… des pommes, des poires (mais pas de scoubidous-didous, n’en déplaisent aux amateurs de scat à la française).

La botanique rattache le framboisier à un genre particulier, les Rubus dans le tiroir desquels l’ensemble des ronces sont soigneusement rangées : on y trouve notamment celle qui donne la mûre (à ne pas confondre avec le mûrier classé dans une autre généalogie).

La framboise avec sa soeur presque jumelle, la mûre

Au vrai, ses tiges – ou cannes – sont hérissées de quelques aiguillons peu agressifs, contrairement à ce que laisse entendre une très ancienne légende hellénique dont l’intrigue, cousue de fils blanc, déroule une vieille bobine teintée d’un soupçon hémoglobine : la dénomination scientifique du framboisier, Rubus Idaeus, renvoie à la mythologie grecque et à un épisode crétois du Mont Ida où, dit-on, la nourrice de Zeus, une superbe nymphe aux formes très généreuses s’écorcha un mamelon au contact d’un buisson parsemé d’épines. La belle voulait y cueillir une framboise pour faire taire les hurlements du royal rejeton et, pour la peine, versa une goutte de sang sur le fruit qui, de laiteux, devint rouge comme le vin.

Il faut croire que certaines variétés sont passées à côté du sein divin et furent, par voie de conséquence, privées de la gougoutte sacrée qui en perla : c’est le cas de ces étonnantes framboises aux nuances jaunes délavés que domine la Fall Gold, la plus connue de ce cercle assez confidentiel de visages pâles, moins cinématographique et « grand public » que leurs célébrissimes homologues pourpres. Dans ce paradis blanc cassé, elle voisine avec l’« Autumn Amber » (dont l’arbuste est sans épines, tiens tiens…), l’américaine « Golden Queen » (découverte dans le New Jersey en 1882), la « Surprise d’Automne » aux fruits ronds et compacts et la Sucrée de Metz, aux organes dorés et fondants.

des framboises couleur sépia

Leur aspect si particulier tient à la faible quantité d’anthocyanes qu’elles contiennent : en fait de sang céleste, il s’agit plus prosaïquement de pigments qui donnent leur couleur aux fruits rouges…mais aussi aux prunes et aux bleuets. Les variétés les plus courues des Rubus Idaeus s’en imbibent allègrement : le Lloyd George et la Baron de Wavre, idéaux pour les confitures de grand-mères, le très parfumé Malling Promise, le juteux « Bois-Blanc » (d’un rouge plus fade), le plus foncé « Zéva » et la vigoureuse « Héritage », américaine elle aussi, et réputée pour sa bonne tolérance à la congélation…

Un petit remontant ?

Au-delà du bleu, blanc, rouge, le monde des framboisiers se divisent en deux catégories bien distinctes qui ont trait au nombre de floraison et de fructifications que les plantes sont capables de produire dans l’année : il y a les remontants (une première fois au printemps, une seconde fois durant l’été) et les non-remontants (une fois à la fin de printemps ou au début de l’été selon les variétés).

Au jardin, cet arbuste buissonnant et drageonnant (il émet des pousses à partir de sa souche) déploie des tiges bisannuelles : vertes dans un premier temps, ces tiges se lignifient au cours de la seconde année et deviennent alors des « cannes », stade auquel elles donnent des fruits, avant de se dessécher, jaunir puis mourir (il faut alors les couper).

La longueur de ces rameaux nécessite un palissage : l’opération consiste à « conduire » la plante, c’est-à-dire fixer ses tiges sur un support à l’aide de liens. Cette technique, qui se décline en plusieurs méthodes (à la hollandaise ou en éventail par exemple), vise à « maîtriser » la croissance du framboisier, à en améliorer la productivité mais aussi faciliter la cueillette de ses fruits.

On distingue ici les aiguillons qui, selon la légende grecque, sont responsables de la couleur rouge des framboises

En conclusion, la framboise est à la portée de toutes les mains (vertes évidemment) : la plante, plutôt simple à cultiver, craint plus la sécheresse que le gel. Elle s’adapte à tous les sols et, généreuse, offre une récolte abondante qu’il est possible d’échelonner dans le temps long en mélangeant variétés remontantes et non remontantes. Attention, toutefois, son fruit, si délicieux, si subtil et encline à remuer les souvenirs de la tendre enfance, se conserve assez mal (on a vu, néanmoins que l’américaine « Heritage » se prête bien à la congélation) : il faut donc le consommer vite, sous peine d’en perdre la saveur.

*cette chair protège la graine qui s’est formée à partir de l’ovule après la pollinisation assurée par les insectes, les abeilles notamment qui raffolent du framboisier.

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