Le roi est mort, vive le pois !

C’est grâce à l’insatiable et légendaire gloutonnerie de Louis XIV que le petit pois s’est invité en France au XVIIᵉ siècle. Par bonheur, même après la mort du monarque en 1715, la graine naine verte et lisse a tranquillement poursuivi son bonhomme de chemin sous les descendants du Roi Soleil et résista, en 1789, à la chute de leur ancien régime (alimentaire, cela va de soi).  

Tel l’interminable arbre généalogique d’une longue dynastie royale, le pois n’a eu de cesse de se déployer au cours de l’Histoire de sous-espèces en cultivars. Le coup d’envoi du pois a sans doute été donné par Pisum sativum L. subsp. Elatius, le nom à rallonge de sa souche initiale classée dans la grande tribu des Fabacées, ces légumineuses dont on avale les graines avec ou sans leurs gousses, comme celles du haricot ou de la lentille.

Sec, nain ou demi-nain, chiche, lisse, ridé, cassé ou gourmand, le genre fait flèche de tout pois et, comme dans un vaste système de poupées russes, chaque variété semble en cacher une autre, dotée de ses caractéristiques propres. Avant de semer, il vaut mieux donc savoir à quel individu on se frotte. Accessoirement peser le pour et le contre et connaître son pois sur le bout des doigts ! Vous l’aurez compris : il serait hérétique et réducteur de résumer le Pisum au seul petit pois, sa déclinaison la plus commune et populaire, mais aussi la plus récente (il est, par exemple, beaucoup plus jeune que le pois chiche).

On a mangé du pois à Troie, pas à Poix

La plupart des cultivars actuels dérivent d’une forme sauvage qui trouve son origine très lointaine – dans le temps et l’espace – à l’est du bassin méditerranéen (Grèce, Turquie, Syrie, Palestine), jusqu’aux confins du Moyen-Orient, entre les montagnes du Caucase et le Turkménistan, Iran comprise.

Avec le panais, c’est sans doute un des premiers légumes domestiqués par les Hommes devenus agriculteurs. Il a laissé des traces très anciennes à Jéricho (- 7000 avant notre ère)  et même sur le site archéologique de la mythique Troie, en Anatolie, là où, bien avant l’invention du cinématographe, Brad Pitt a marché sur les talons du demi-dieu guerrier Achille, à moins que ça ne soit l’inverse (- 4 000).

Plus près de chez nous, des traces de pois datant de presque 5000 ans ont été identifiées en Suisse et, non loin de là, dans le secteur du lac du Bourget (Savoie). Preuve que la plante a réalisé quelques sauts de puces sur plusieurs millénaires, à la fois vers l’est (Asie) et vers l’Ouest (Europe), avant de parvenir, sous une forme inédite, jusque sur la table du pantagruélique Louis XIV.

Un petit pois dans le palais royal

Avant le règne du Roi-Soleil, le pois était déjà bien installé dans les mœurs culinaires françaises, celles des catégories pauvres notamment, surtout paysannes, qui le récoltaient à maturité, le faisaient sécher puis le consommaient concassé en purée.

En de plus rares occasions, le  « mangetout », ainsi nommé parce qu’on l’ingérait intégralement avec sa gousse, était un vieux pois sans doute cultivé dès le VIIIᵉ siècle que les plus morfalous accompagnaient volontiers d’une bonne tranche de lard. Ces ingrédients historiques, et finalement assez simplistes dans leur mode de préparation, prirent subitement du plomb dans l’aile quand débarqua dans les salons de Versailles un concurrent de poids, de pois (apparemment) inconnu : en vérité, il ne s’agissait rien moins que d’un bébé, prélevé tout frais dans sa cosse avant même qu’il n’y ait achevé sa croissance.

Cette variété fut ramenée d’Italie en janvier 1660 par un officier de bouche de la cour, Audigier, qui en présenta tout un sac à Louis XIV : le coup de foudre !

Cosse et grains de petits pois encore jeunes

Crise de pois

Les pois étaient encore logés dans leurs gousses, mais la royale impatience ordonna bille en tête qu’on les en retire au plus vite, afin de les saupoudrer de sucre et les servir frais pour son dessert. Sitôt dit, sitôt fait. Le « petit pois », plus difficile à conserver, mais tellement plus tendre que son ancêtre séché à la peau dure, devint l’un des péchés mignons de Sa Majesté qui en fit un marqueur gastronomique de l’élite française au sang bleu, la fleur des pois de l’aristocratie française.

Fleur de petits pois

Pour développer sa culture dans les allées des jardins botaniques versaillais, le Roi pesa de tout son poids dans la balance, et tant qu’il respira, jamais le petit pois ne tomba de son piédestal. Au point qu’en 1696, une lettre posthume de Madame de Sévigné, elle aussi bien en cours, évoque « une mode, une fureur » telles que « depuis quatre jours, nos princes traitent de trois questions à propos des pois : l’impatience d’en manger, le plaisir d’en avoir mangé et la joie d’en manger encore ».

Ces mots ont été couchés dix ans avant que le monarque sexagénaire ne pousse un grand « pouah ! » de dégoût causé par de violents maux de ventre qui trahirent une indigestion de petits pois, overdose dont l’issue fatale aurait pu stopper l’ascension fulgurante du micro-légume vert.

Nains, chiches, croquants, lisses ou ridés : l’embarras du pois !

Cet engouement d’État pour ces jeunes graines vertes et lisses, d’abord circonscrit aux couches supérieures de la société d’Ancien Régime, n’a pas définitivement supplanté les pois plus anciens, y compris le fameux genre « chiche », un légume sec à très haute teneur en fibres et protéines, issu d’une autre souche – cicer arietinum – à partir de laquelle des améliorations variétales ont été opérées, notamment en France avec le Lambada : ceux-ci ont vu leurs propriétés morphologiques et texturales se perfectionner au fil du temps et des sélections.

Pois chiche lambada
Pois chiche lambada

Aujourd’hui, l’ensemble de ces caractéristiques – taille de la plante, mode de consommation des fruits, apparence des grains – constituent autant de critères qui fixent une classification à tiroirs d’autant plus difficiles à décrypter que ses éléments sont interchangeables. D’où le petit travail de synthèse que nous avons effectué à l’intention des néophytes :

Les pois à rames et pois nains : Ce qui les rapproche ? Ils grimpent lors de leur croissance, d’où la nécessité de leur offrir un support. Ce qui les différencie ? La hauteur de la plante, jusqu’à deux mètres pour les premiers, souvent moins de 80 cm pour les seconds. Citons pour l’exemple le Blauwschokker, le « Téléphone », le «Serpette Guilloteaux» (côté rames), le «Petit Provençal, l’«Exzellenz », le «Hâtif d’Annonay» (côté nains).

Palissage des petits pois

Les pois Mangetout, dont on avale les graines à peine formées directement dans leurs gousses plates, dénuées de membrane interne (ou parchemin) : en sont les « Carouby de Maussanne », les « Norli » et autres « Golden Sweet » (surnom qui fait écho au jaune d’or de leurs enveloppes).

Les pois croquants : sans parchemin non plus, on les mange généralement par la gousse quand elle est bien charnue, d’où leur texture plus croustillante. Les Britanniques, grands consommateurs du genre, les appellent « snap peas ». Dans cette catégorie, ressortent les variétés « Jessy » et « Delikett ».

Les pois à écosser : Par déduction, un pois à écosser n’est pas un pois Mangetout. Ici, ce sont les graines, à extraire de leur enveloppe et à débarrasser de leur parchemin, qui présentent un intérêt culinaire. À manger frais.

Les pois lisses ou ridés : tous deux sont à écosser. Leurs graines se distinguent par l’aspect de leur épiderme, et leur forme : les lisses sont rondes, les ridées souvent plus « carrées », mais aussi plus sucrées, à l’image du « Kelvédon » et l’Exzellenz.

 

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *