Le topinambour, guerre et…pets ?

Les veilles générations l’associent aux privations alimentaires que leur infligèrent les affres du second conflit mondial et la cruauté des armées d’occupation. Les plus jeunes lui imputent la responsabilité de bombardements aériens d’une toute autre nature, chargés d’effluves et de détonations plus pacifiques nonchalamment servies sur canapé. Une réputation usurpée ?

Le vent de l’Histoire prend parfois des tournures inattendues : grâce au souffle marin qui gonfla les voiles des navires armés par l’explorateur du Canada Samuel de Champlain, le topinambour fit un bond géographique de plus de 5 000 kilomètres depuis son berceau nord-américain jusqu’en Europe où il fut propulsé puis introduit par petites touches à partir du début du XVIIème siècle.

L’aventure aurait pu s’arrêter là et se borner à une simple transplantation culturelle semblable à celle dont firent l’objet tant d’autres légumes exotiques légués par les autochtones du « Nouveau » Monde à leurs colonisateurs de « l’Ancien ». Sauf qu’à l’époque, le topinambour qui débarque dans le Royaume de France n’en est pas tout à fait un, du moins sur le plan étymologique : ceux qui ont découvert le tubercule dans les glèbes froides de la future province de Québec le baptisèrent dans un premier temps « artichaut d’hiver » ou « truffe du Canada », rapport à son aspect globuleux et tordu proche des racines produites dans le sol par certains genres de champignons (un siècle plus tard, un autre botaniste l’a répertorié en tant que « poire de terre »).

Un nom brésilien

Le nom à quatre syllabes dont les Hommes de ce temps l’ont affublé par la suite est le fruit d’un improbable quiproquo : l’épisode remonte à 1613 lorsqu’une tribu indienne sud-américaine, les Tupinambas, localisés dans les régions côtières qui formeront bien plus tard le Brésil, fut embarquée de force par des Européens sur un bateau en partance pour le Vieux Continent. Ce kidnapping visait à faire parader ces prisonniers de guerre – décrits par certains auteurs de l’époque comme des « cannibales » – devant sa Majesté Louis XIII à l’occasion d’une visite royale à Rouen : l’évènement, qui n’était pas une première dans cette ville (beaucoup de normands avaient établi des comptoirs de commerce dans la baie de Guanabara et envoyaient régulièrement des amérindiens en métropole), eut un certain retentissement parmi la population locale.

Par une étrange association d’idées, une partie du public assimila alors l’arrivée de ces « Tupis » au nouveau légume importé au même moment du Canada. A la faveur de ce drôle de mélange qui fit tâche d’huile de provinces en provinces et imprégna le langage courant, l’artichaut d’hiver se colora du terme « Töuoupinambaoults » qui désignait ces indigènes du Brésil, lesquels ne firent pourtant jamais pousser l’ombre d’un topinambour sous le soleil de leurs lointaines et chaudes contrées.

Il est vrai que le «Helianthus tuberosus  » est réputé pour sa grande résistance au froid (jusqu’à – 15 degrés). Cette rusticité, bien supérieure à celle de nombreux légumes-racines, bluffa les contemporains du frêle et jeune Louis XIII qui saisirent la balle au bond et s’empressèrent de développer l’espèce sous le climat hexagonal aux hivers parfois rugueux.

La pomme de terre lui met un vent

La généreuse capacité de la plante à se multiplier par réimplantation de ses tubercules, y compris dans les sols pauvres (attention toutefois à l’excès d’humidité), en fit rapidement une production très recherchée et incontournable jusqu’à ce que la pomme de terre lui oppose une concurrence sinon déloyale, du moins redoutable et quasi définitive.

au XVIIIème siècle, la pomme de terre a pris le dessus sur le topinambour

Aux XXème siècle, le topinambour refit surface au cours de la deuxième guerre mondiale quand, sous la férule de l’occupation allemand, les français dans le dur durent en consommer d’importants volumes : contrairement à son rival promu par Parmentier deux cents ans plus tôt , l’ancien artichaut d’hiver n’avait, à cette époque, pas fait l’objet de réquisitions alimentaires. Un choix par défaut qui pesa longtemps sur l’image et l’attractivité du légume, pénalisé par sa silhouette ingrate : un corps adipeux aux contours irréguliers et noueux caractérise la plupart des variétés, bien que des nuances formelles distinguent les cultivars en fuseau, au dessin plus allongé, du Sakhalinki rouge ou blanc et autre Violet de Rennes, à la constitution replète et taillée comme la Vénus de Willendorf.

 

Derrière cette enveloppe disgracieuse, parfois difficile à éplucher, c’est un goût fin et tendre d’artichaut qui se révèle : comme lui, le topinambour contient dans sa chaine fine et juteuse une bonne dose d’inuline, un glucide dérivé du fructose qui lui confère une note sucrée, particularité qu’il partage aussi avec la chicorée et le pissenlit.

L’inuline pour les nuls

Cet atout saveur a son bémol, et non des moindres : il provoque chez les sujets les plus sensibles d’indélicates indispositions que seul un moyen expéditif est en mesure de soulager prestement, le pet. Des pims, des pams et des poums à foison et distribuables à la douzaine si, par malheur, la première et la deuxième déflagration ne suffisent pas à réduire la pression dans la machine à vapeur. Pour l’anecdote, ce roulement de topinambours valut au tubercule de supporter un sobriquet peu flatteur sous le régime de Vichy, référence directe au patronyme du Maréchal.

Ces effets collatéraux s’expliquent par l’action de l’inuline évoquée plus haut : une fois ingéré, ce sucre possède en effet la faculté de glisser entre les mailles des enzymes intestinaux et d’arriver indemne jusqu’au côlon. Là, le glucide passe un mauvais quart d’heure et subit une sorte de lavage à haute température (métabolisation) dont il ressort tourneboulé. Il résulte de l’opération un important dégagement de dioxyde de carbone, d’hydrogène et de méthane bien décidés à sortir de cette usine à gaz pour retrouver un peu d’air pur (un dessin serait inutile …)

Ces désagréments, non systématiques (ils disparaissent chez ceux qui ont l’habitude de consommer du topinambour), sont finalement bien peu de choses au regard des bienfaits que les nutritionnistes reconnaissent à ce cousin du tournesol : contrairement à l’amidon de la pomme de terre, l’inuline n’influe pas ou peu à la hausse sur le taux de glycémie et, à ce titre, constitue une bonne alternative au sucre pour les personnes atteintes de diabète. Elle possède aussi des propriétés antioxydantes et stimulerait le développement de bactéries profitables au bon fonctionnement du côlon. Le topinambour affiche également un bon niveau de potassium (452 mg pour 100 g) qui renforce les muscles et participe à l’équilibre de la pression sanguine et à la régulation du système nerveux.

La culture du topinambour en quatre points :

  • Le semis s’effectue de février à avril en ligne avec 30 à 40 centimètres d’intervalle entre chaque plant,
  • Le Helianthus tuberosus appartient à la même famille que le tournesol (Helianthus annuus) : comme lui, il développe de belles inflorescences jaunes à la fin de l’été,
  • Le topinambour est facile à produire : rustique, il est capable de bien passer les hivers et se contente de sols pauvres. En saison chaude, des arrosages sont toutefois nécessaires en cas de sécheresses prolongées,
  • La récolte des tubercules (sous la racine) se fait en fonction des besoins en périodes automnale et hivernale, d’octobre à mars.

En conclusion, le topinambour, légume oublié, sali par l’Histoire et les  années de guerre au cours desquelles il s’était substitué à la très populaire pomme de terre, réintègre depuis plusieurs années les menus de chefs gastronomes, séduits par sa saveur sucrée et son authenticité. Au jardin, sa culture simple en fait un légume d’autant mieux apprécié qu’il promet des rendements élevés. A cause de son aptitude -réelle – à provoquer des flatulences, il n’a pas toujours été en odeur de sainteté.  Un détail dont se contrefichent ceux qui, à table, redécouvrent aujourd’hui sa douceur et aspirent à déjeuner en paix.

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