Le céleri-rave, plaisir d’amour

Le céleri-rave tire de ses espèces sauvages, la livèche et l’ache, aux parfums très forts, cette réputation de légume aphrodisiaque qui lui colle à la peau. Si l’intensité des odeurs jouent incontestablement un rôle dans la stimulation du désir, des études scientifiques ont creusé un peu plus profondément la question et imputent à certaines des molécules qu’elle contient les prédispositions plus ou moins prononcées de la plante à exciter la libido du genre humain.

Sur l’oreiller de Louis XV, Jeanne de Pompadour manifestait, dit-on, assez peu d’entrain et peinait à s’abandonner aux délices d’Eros (bien qu’aucun témoin digne de foi n’ait jamais été en mesure d’en apporter une preuve tangible). Toujours est-il que cette froideur dissimulée à grand’ peine saisissait d’effroi son prestigieux partenaire et flétrissait quelque peu son orgueil royal, à défaut de froisser la soie fine de sa couche versaillaise tendue de gazes.

Pour tenir sa position de favorite et remplir les devoirs de son état à l’endroit du volcanique Bourbon, la duchesse eut recours, en urgence, à de multiples aphrodisiaques. Cette cure l’a notamment conduite à enrichir son menu coquin d’un délicieux potage de céleris-raves qu’on imagine lui être servi auréolé d’ondulants panaches de fumée aux chaudes odeurs de jardin. Choix judicieux car, à cette époque, le légume traînait après lui un long passé d’analeptique propre à ressusciter les mœurs et rallumer les passions éteintes.

Au potager, la trogne de cette Apiacée des familles n’a pourtant pas l’étoffe d’un Apollon ni  les traits d’un philtre d’amour. Son corps gras et gris, presque verdâtre, rebute facilement l’œil. Sa surface rêche, comme soulevée de bubons, est cabossée par un méli-mélo de radicelles solidement arrimées à ce qui semble tenir lieu de carapace : cette boule nervurée et tavelée, que l’on déterre pour la découper et en cuisiner la chair légèrement piquante et anisée, n’est pas à proprement parler une racine.

Elle est le résultat d’une excroissance, celle de l’hypocotyle, la base de la tige qui fait la jonction entre le principal organe souterrain et les feuilles primordiales visibles en partie aérienne. Son hypertrophie correspond  à un processus végétal bien précis : la tubérisation, le moment où la plante transforme un de ses éléments  en espace de réserve pour y stocker les nutriments nécessaires à sa survie durant la morte-saison.

À rave ou à branches

Contrairement à une idée trop souvent répandue, ce céleri-rave n’est pas la « racine » du céleri-branche (ou à côtes) : les deux légumes proviennent bien de la même souche historique, l’ache des marais, mais chacune constitue  deux variétés bien distinctes au sein de cette famille d’Ombellifères (ou Apiacées). Chez le premier (Apium graveolens var rapaceum) on l’a vu, c’est la tige tubérisée que l’on consomme. La deuxième (Apium graveolens var. dulc) est cultivée pour ses longs pétioles charnus couronnés de feuilles.

Le tandem est né de sélections successives initiées en Italie il y a bien longtemps, grosso modo entre la fin de la Renaissance et le milieu du XVIIᵉ siècle : avant cette seconde « naissance » qui particularisa et popularisa les deux céleris en Europe et fit de l’un et l’autre les mets traditionnels que l’on retrouve aujourd’hui sur les étals, ce légume se confondait, dans l’esprit des Anciens, avec de nombreuses autres plantes, proches de lui génétiquement et très souvent utilisées à des fins officinales.

Sans doute doivent-ils leur réputation d’aphrodisiaques à leur ancêtre commun, l’Ache des Marais, une plante aromatique et romantique qui pousse encore à l’état sauvage dans les milieux humides et salins (en Provence et plus globalement dans le bassin méditerranéen, jusqu’en Asie) : certaines versions du récit médiéval Tristan et Iseult feraient d’ailleurs entrer –avec la cannelle ! – cette herbe magique aux effluves généreuses dans la composition du philtre d’amour à l’origine du coup de foudre dont furent victimes les deux protagonistes.

Enfin, pour encore ajouter à la confusion, nos lointains aïeux associaient volontiers le futur céleri à la livèche (Ache des Montagnes, également appelée céleri perpétuel) ou encore au persil, lui aussi répertorié dans la grande famille des Ombellifères.

Céle…rats !

Malheureusement, il faut bien admettre que la réalité parfois très sèche de la botanique n’emprunte pas toujours les chemins fantasmés des légendes urbaines,  bien ancrées dans l’imaginaire collectif : les propriétés stimulantes de l’Apium graevolens, et ses vertus soupçonnées sur la libido et la fertilité n’ont jamais été certifiées par la science, bien que certaines études aient ouvert quelques brèches dans ce dossier classé X.

Lors d’une récente et très sérieuse expérience menée sur 32…rats, des chercheurs ont ainsi démontré que les nombreux agents anti-oxydants contenus dans le céleri, dont l’apigénine, avaient eu une influence très positive sur la spermatogénèse des rongeurs.

D’autres bienfaits, observés chez l’Homme cette fois, découleraient de la haute teneur naturelle du légume en nitrates qui, transformés par l’organisme en nitrites, favoriseraient la vasodilatation et l’irrigation sanguine de certains muscles (à vos déductions !…). Ses vitamines k influeraient aussi sur la production de testostérones. D’autres encore prêtent au céleri le pouvoir d’accroître la libération d’androstérone, une hormone qui déclenche le rut chez les mammifères (sur ce dernier point aussi, tout reste à prouver !).

Une soixantaine de variétés de céleri-rave sont aujourd’hui inscrites dans les catalogues officiels. Citons en exemple :

  • Le Géant de Prague : un précoce qui développe une boule d’une belle rotondité à la chair tendre et à la saveur très fine (semis en pleine terre de mi-avril à fin mai, récolte d’octobre à décembre)
  • Le Monarch : un rustique qui résiste bien aux gelées automnales (récolte jusqu’à décembre).
  • Le céleri Astérix : sa « racine » qui s’évase légèrement en toupie est beau bébé de 800 à 900 grammes (récolte de septembre à décembre).
  • Le Diamant bio : ses raves régulières et bien rondes recèlent une chair très blanche (récolte de septembre à novembre)

En fonction des variétés adoptées, une durée de 120 à 150 jours s’écoulent entre les semis et la récolte : la phase de culture exige des arrosages généreux et réguliers et nécessite un paillage pour tenir la plante au frais par temps chaud et sec.

Conclusion : plante longtemps impersonnelle, utilisé pendant des millénaires pour ses vertus médicinales davantage que pour ses qualités gastronomiques, recherché à tort ou à raison pour ses propriétés libidinales présumées qu’il partage avec d’autres ombellifères très odorantes (le persil ou encore l’anis), le céleri-rave – celui dont on mange la « racine » -a fini par se construire une identité et un nom propre il y a un demi-siècle (le mot « céleri » vient du grec Séléné, déesse qui personnifiait la pleine lune) : il les doit sans doute à des botanistes italiens qui, à force de sélections, en ont fait un véritable légume doté d’un gros tubercule, toujours sensible, qui sait, à l’astre de la nuit. C’est cette partie plantureuse et virile qui lui permit de « se pousser » et faire son trou au potager. Entre érotisme et ésotérisme, cet apium graveolens n’a sans doute pas crevé ses nombreux mystères ni livré tous ses secrets… d’alcôve.

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