Piments et poivrons, pas si forts en gueule

En cuisine, un chef fera toujours le tri entre piment et poivron parce que le premier « pique » et arrache, contrairement au second, réputé « doux ». Et pourtant, ces deux fruits, originaires d’Amérique centrale, sont presque jumeaux. Un rien les distingue, une virgule, une broutille, un détail dans lequel se cache -évidemment-  un diable flambeur au souffle chaud comme la braise…

Qu’il y a-t-il de commun entre un séisme, une éruption volcanique et une haleine de Dragon ? Si l’on excepte la pointe incendiaire que dardent en bouche certaines de ses variétés les plus virulentes, rien, de prime abord, n’autorise à comparer le piment et son effet lance-flammes à la calamité d’une catastrophe naturelle digne du film « 2012 ».

Comme la tectonique des plaques et la montée du magma en fusion jusqu’à la surface du globe, l’intensité du fameux condiment a pourtant fait l’objet de mesures mathématiques qui ont donné lieu à l’élaboration d’une échelle d’évaluation progressive qui, dans son mécanisme et son principe empirique, rejoint la logique de Richter appliquée aux tremblements de terre, et l’indice d’explosivité volcanique inventée en 1982 par des chercheurs américains.

Le paprika, une épice obtenue à partir du piment doux.

Le scientifique à l’origine de cette graduation est, lui aussi, natif des Etats-Unis : Wilbur Lincoln Scoville, pharmacien de son état, a effectué une partie de sa carrière au sein de la société Parke-Davis, rachetée plus d’un siècle plus tard (en 2000) par le laboratoire Pfizer que la crise sanitaire actuelle a placé sous les feux de l’actualité internationale (plus accessoirement, l’enseigne en question a aussi mis au point le …Viagra !).

Il suffiraaaaaaaaaa d’une étincelle

Les travaux qui nous intéressent ici sont bien antérieurs puisqu’ils remontent à 1912 : à cette époque Scoville a déjà bûché sur le poivre et son composé actif, la pipérine, responsable du phénomène de « pseudo-chaleur*» ou sensation de « piquant » que diffuse l’épice lors de sa consommation. Chez  le piment, l’équivalent de cette molécule est la capsaïcine. Pour faire bref, l’impact de ce métabolite un rien irritant sur les sens gustatifs des mammifères est le parfait contraire de l’effet kiss-cool : en d’autre termes, ça envoie du feu ! (A l’inverse, les oiseaux pollinisateurs n’y sont pas sensibles, ce qui favorise la reproduction du végétal et sa dissémination dans la nature).

Pour Scoville, la question n’était pas insoluble : il a remarqué qu’un seul petit gramme de capsaïcine restait perceptible dans un volume de 10 m3 d’eau. Piqué au vif, le chercheur a alors organisé une série d’expériences qui consistaient à diluer dans des quantités croissantes de liquide sucré diverses variétés de piments réduites en purée. Des testeurs ou « goûteurs » firent le reste du travail : dès que 3 des 5 personnes sélectionnées affirmaient ne plus ressentir aucun « piquant » dans la mixture qu’ils avaient absorbée, un étincelle jaillissait dans l’esprit du  pharmacien, lequel complétait prestement une classification par paliers en fonction de l’importance du mélange qui avait permis d’atteindre ce résultat (au jeu du cache-tampon, on lui aurait dit «  tu brûles, Wilbur ! ») :  la variété « Anaheim » par exemple, également connue sous le nom de piment de Californie, devait être diluée au moins 500 fois avant que l’impression de pseudo-chaleur provoquée par la capsaïcine ne s’évanouisse.

 

Le piment Anaheim, un « chaleureux »

Cet ordre de grandeur (500-1000 unités) la fait entrer, avec son homologue Aji Delight (type Jalapeno) dans la deuxième « case » de l’échelle de Scoville, celle des piments dits « chaleureux », rang très modéré sur une table qui comporte dix indices de référence depuis le « doux » (1/10, piment banane, Havana Gold) jusqu’à « l’explosif » (10/10, piment Habañero). Entre ces deux extrêmes s’intercale tout un inventaire de catégories : les « relevés » (3/10, piments Poblano et Orange Pepperoncini), les « chauds » (4/10, Piment d’Espelette, Gorria), les « forts » (5/10, Jalapeño, Spangles, Machu Pichu), les « ardents » (6/10, Hungarian Yellow wax), les « brûlants » (7/10, Serrano, Hot Lemon), les « torrides » (8/10, Cayenne, Zimbabwe Black) et les « volcaniques » (9/10, Hot Thaï, Rocoto, Tabasco).

Le Cayenne, un « torride »

Le poivron, neutre comme la Suisse

Dans cette chorale de bouches en feu, le poivron a-t-il voix au chapitre ? Scoville l’intègre bien à son orchestre mais le positionne au-dessus de la mêlée puisqu’il y est répertorié comme « neutre » (0-100) : ce classement signifie qu’il ne contient pas – ou tout au plus une larmichette –  de capsaïcine, contrairement à son cousin poseur de dynamite. C’est bien ce trait sensoriel et cette approche physico-chimique qui soulignent la différence entre le deux plantes, au demeurant très liées génétiquement : elles appartiennent en effet à la même famille botanique, les solanacées – celle de la pomme de terre et de la tomate – , et émargent l’une comme l’autre au rang taxinomique des capsicums.

Ce genre, qui englobe l’ensemble des piments, se subdivisent en six principales espèces : la première (dans l’ordre alphabétique) – capsicum annuum** –  comprend la plupart des variétés douces et embrasse la totalité des poivrons, tous « neutres » par nature, donc non piquants (d’où le verbe « embrasser » utilisé ici). Une carence toute relative qu’ils compensent par une saveur savamment poivrée (plutôt chez le vert) et/ou sucrée (surtout chez le rouge), le tout enrobé dans une texture juteuse.

La couleur, une question d’âge

Tel un feu d’artifice, l’univers des poivrons se déploie en une mosaïque de formes et de couleurs, richesse qu’il doit à l’impressionnante réserve de variétés dont dispose sa palette. Le rouge, le vert, l’orange ou le jaune qui bariolent les étals traduisent très souvent le degré de maturité du fruit.

Pour y voir un peu plus clair dans ce cocktail explosif, isolons quelques figures :

Les petits et trapus, ou « carré-court » : souvent bonne et facile à farcir, leur chair épaisse s’agrémente d’un goût parfumé. Leur constitution lourde et ferme et leur modeste gabarit participent de leur popularité croissante auprès des consommateurs. Dans ce registre cubique, certaines variétés sont à découvrir, à l’image du poivron cardinal (violet à rouge), du très original « Confetti » (de vert à rouge à maturité), du Purple Bell, du Orange Horizon, du flashy Garnet et du bien nommé Quadratto d’Asti, une variété rouge italienne. Plus minces, profilés et coniques, mais de taille tout aussi réduite (moins de dix centimètres), voyez le Balconi (format de poche du « corne de taureau rouge »), le Barbados et le Brandy Red (petits poivrons de type snack). Autre curiosité, ronde cette fois : le « Kobold », un mini-poivron rouge à servir en apéritif. Et un classique au nom évocateur : le poivron-tomate.

Parmi les demi-longs ( 12 à 15 centimètres), citons le poivron chocolat doux (qualificatif qu’il doit à sa couleur spécifique), le jaune orangé Tequila Sunrise et le Sakura, une variété précoce et très productive qui développe, à maturité, des fruits triangulaires de teinte rouge foncée.

Les jardiniers sensibles aux longs poivrons trouveront leur bonheur avec le Stuff Enuff, le Sweet banana et le Corno di Toro, en versions rouge ou jaune.

Les caractéristiques gustatives et sensorielles se font toutefois sentir à chaque stade : Le vert se distingue par sa nature croquante et sa saveur fruitée parfois traversée d’un trait d’amertume à l’accent poivré (il est très utilisé dans la ratatouille). Le rouge est associé à la douceur de sa chair complétée d’une note sucrée. Le jaune, tendre et juteux, parfume à souhait les sauces ou les salades.

En conclusion : l’échelle de Scoville en témoigne, de très nombreux piments épargnent les palais délicats. Entre le chaleureux et l’explosif, l’éventail de possibilités est particulièrement large. Pour le poivron, aucun risque de surchauffe : c’est un piment doux (et gentiment sucré) dont les saveurs et textures sont en partie déterminées par le niveau de maturité de ses fruits qui se reflète dans leurs teintes vertes, crème, jaune, orange ou pourpre, jusqu’au brun. Là aussi tout est affaire de goûts. La Bonne Graine souligne d’ailleurs qu’il « n’est pas essentiel d’attendre que les poivrons et les piments soient rouges pour les récolter, d’autant plus qu’ils continuent à prendre de la couleur et à mûrir après la récolte ».

*Il ne s’agit évidemment pas d’une brûlure physique . La sensation de chaleur -parfois très désagréable – est une simple réaction déclenchée par des neurorécepteurs sous l’effet malin de la capsaïcine.

**Les cinq autres, battacum, chinense, frutescens, pubescens regroupent, à quelques exceptions près, les piments les plus forts

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