Basilic, l’arôme antique

Ce cousin du romarin, de la menthe et de la lavande, cultivé pour ses feuilles et ses graines, est sans doute l’une des plantes aromatiques les plus chargées de légendes. À travers les âges, les civilisations l’ont tour à tour paré des pires vices et de dons étranges, mêlés à d’insoupçonnables vertus.

La liste est très longue et fait un peu froid dans le dos (âmes sensibles s’abstenir !) :

Beaucoup de Grecs pensaient que le basilic avait le pouvoir d’engendrer des serpents au venin mortel dans le cerveau de quiconque le humait très fort, et de trop près. En vérité, le terme désignait un reptile géant de leur mythologie – le basilískon (ou « roi des serpents ») -, un monstre qui… existe encore aujourd’hui, fort heureusement en modèle très réduit (il s’agit d’une espèce d’iguane d’Amérique centrale baptisé « Basiliscus Plumifrons, ou « lézard Jésus-Christ », surnom plus intime qu’il tire de son incroyable capacité à piquer des sprints à la surface des eaux stagnantes).

Cette première légende explique sans doute la seconde, une variante développée bien plus tard au Moyen-Age : les gens de cette époque affirmaient qu’un scorpion naissait de la feuille de basilic lorsqu’on la disposait, toute une nuit durant, soigneusement repliée entre le sol et un caillou.

Nouveau retour en arrière, au temps de Pyramides cette fois (il y a sans doute plus de 4 000 ans) : les Égyptiens qui venaient de découvrir cette plante aromatique, originaire d’Inde (où les populations le dédiaient à leurs Dieux Vishnou et Krishna), mirent le doigt sur ses propriétés bactéricides qu’ils jugèrent bien utiles pour conserver leurs aliments et, plus accessoirement, entretenir leurs morts ainsi rendus frais et dispos pour la momification.

Sensible aux larmes

Cette réputation morbide qu’il se forgea auprès de Pharaon fit tache d’huile jusqu’à la Renaissance où l’écrivain florentin Boccace raconte, dans une nouvelle compilée dans son Décaméron, qu’une jeune femme du nom de Lisabetta retrouva le corps de son amant assassiné, lui coupa la tête par désespoir pour l’enfouir, en guise de relique, dans un pot qu’elle sema aussi sec d’un basilic de Salerne.

L’herbe, que l’héroïne éplorée arrosait abondamment de ses larmes, « devint ainsi très belle et très odoriférante » écrit l’auteur italien. Il ne croyait pas si bien dire : plante frileuse au sang chaud, elle est particulièrement sujette au stress hydrique. En période de sécheresse, le manque d’eau déclenche une pousse rapide de ses fleurs qui nuit immanquablement à la croissance de ses feuilles, lesquelles flétrissent comme du papier usé et jauni avant même de produire leur parfum si subtil.

Entre haine et porte-bonheur

Extrême ironie du sort, les experts en sorcellerie de l’époque de Boccace surent utiliser avec ruse les hautes fragrances du basilic pour masquer le goût et l’odeur nauséabonds de certains poisons et ainsi tromper les sens et l’intuition de leur future victime. Raison pour laquelle la plante, tout à fait inoffensive au demeurant, fut, un temps, injustement associée à la très toxique belladone utilisée en quantités dangereuses par les charlatans d’alors dans la confection de philtres peu recommandables.

Enfin, il nous revient de signaler que, dans certaines versions du langage des fleurs, le basilic est présenté comme un symbole de haine et mépris, une étiquette peu flatteuse qui remonterait à la Grèce Antique. Au Portugal en revanche, la plante jouit d’une réputation autrement plus jouissive : lors des fêtes la São Joao, offrir un pot de basilic à ses proches représente, selon l’usage, un gage de bienveillance. Au moment du solstice d’été, la plante fait même office de « porte-bonheur ».

Le basilic appartient à la famille des Lamiacées, un groupe où l’on retrouve de nombreux aromatiques comme le romarin, la lavande ou la menthe. Son nom scientifique – ocimum basilicum –  lui a été attribué par le célèbre naturaliste suédois Carl Von Linné, dans son non moins fameux ouvrage Species plantararum (1753).

Cultivé sous nos latitudes comme une plante annuelle, le basilic présente, comme le vin, d’importantes nuances gustatives selon les variétés utilisées (il y en a plus de 150 à travers le monde). Une belle diversité qui rejoint son caractère cosmopolite : cette herbacée sème ses graines dans de nombreuses cuisines traditionnelles, depuis l’Italie où l’usage en fait un ingrédient phare du pesto (une sauce qui a sa variante provençale, le pistou), jusqu’aux pays d’Asie du sud-est.

Des basilics pour tous les goûts

Penchons-nous sûr quelques-uns de ses grands noms, avec leurs spécificités :

Le Grand Vert : peut-être le plus consommé et le plus connu. Ses grandes feuilles ovales, très rafraîchissantes, entrent dans la composition de nombreux plats provençaux, dont le célèbre pistou évoqué plus haut (semis de mars à mai, récolte de juin à octobre). Il est originaire d’Italie comme le suivant…

Le basilic de Gênes (var. Genovese) : Il est l’ingrédient phare du pesto de Ligurie. Ses grandes feuilles dégagent un bouquet très intense, moins mentholée toutefois que la variété précédente (semis de mars à mai, récolte de juin à octobre).

le basilic du pistou

Le basilic pourpre (var. purpurascens) : il se distingue des autres par des feuilles rouges à violacées, aux subtiles notes poivrées, proches de celles du gingembre.

Le Thaï (var. thyrsiflora) : ses feuilles sont vertes, ses tiges et ses fleurs pourpres, et ses saveurs plus épicées rappellent l’anis, le clou de girofle, l’estragon. Un incontournable met de la cuisine sud-asiatique (comme son nom l’indique d’ailleurs)

Le basilic « fin vert » : il est reconnaissable à son port en boule, et à la finesse de ses feuilles très parfumées.

Les basilics cinnammon et Citriodorum diffusent respectivement des senteurs de cannelle et de citron.

Précision importante : l’origine exotique de l’ocimum basilicum le rend très intolérant au froid. Sa végétation se bloque au-dessous d’une température de 10° C. En cuisine, il est vraiment déconseillé de passer ses feuilles à la cuisson, sous peine d’altérer la puissance de leurs saveurs naturelles. Il se mange généralement cru, et rapidement après la récolte.

En conclusion :

L’arôme fascinant du basilic, parcouru d’effluves lointaines dont les origines semblent remonter à la nuit des temps, a embaumé les plats et embrumé l’esprit de très nombreuses civilisations qui, au fil des millénaires, l’ont associé à de multiples représentations monstrueuses et maléfiques puisées dans le tréfonds de leurs superstitions et autres réservoirs mythologiques. Sortie de l’obscurantisme, cette herbe d’origine indienne, en quête perpétuelle de soleil et chaleur pour s’épanouir au potager, de culture simple, a normalisé sa réputation à travers le monde, piquant de sa douce fraîcheur, chaque été, pâtes, crudités, omelettes et œufs brouillés, poissons et sauces.

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