La coriandre, mauvaise herbe ?

Quand d’autres l’encensent, certains consommateurs, définitivement rétifs, lui reprochent au contraire de répandre une sale odeur de savon, de produit vaisselle, de naphtaline, voire de « punaise écrasée ».  Jamais peut-être une plante aromatique n’aura autant divisé le monde que la coriandre, ni suscité des débats aussi tranchants sur les cinq continents habités. Un mystère dont l’univers scientifique tente depuis plusieurs années de traverser l’épaisseur afin d’y chercher des réponses rationnelles aptes à dissiper les rancœurs et lever les incompréhensions les plus tenaces.

Les cuisines mexicaines, thaïlandaises, vietnamiennes et indiennes (le fameux « chutney » !) en font pourtant grand usage. Mais, la haine presque irrépressible que lui vouent les plus « coriandrophobes » d’entre nous, terme désormais consacré y compris dans les pays où la plante est reine, reste intacte, parfois en dépit du bon sens. Fort heureusement, l’antique herbe aromatique, dont les traces archéologiques les plus anciennes, découvertes en Palestine, remonteraient à plus de 8 000 ans, flatte les sens de la majorité du Commun des Mortels qui y décèle une agréable sensation de fraîcheur où flotte un vague parfum d’anis.

coriandre en plant

Punaise…voici de la coriandre !

Pour d’autres en revanche, environ 15 à 25% de la population mondiale à en croire une étude très sérieuse publiée en 2012 dans la revue scientifique Flavour and Fragrance, spécialisée dans l’aromatique alimentaire, la coriandre transporte avec elle une saveur âcre, doublée d’une odeur assez peu ragoûtante qui, chez les plus douillets, confine à l’infect, voire à l’insecte : ceux qui s’en disent victimes n’y vont pas de main morte pour décrire le dégoût qu’ils éprouvent envers la plante, allant jusqu’à évoquer leur impression de respirer ou de manger, à son contact, un « torchon de cuisine sale » ou une feuille « moisie », même si les analogies avec le savon, le liquide vaisselle, les détergents ou la « punaise écrasée » sont les plus communes.

Cette dernière référence est nourrie par l’étymologie : le mot « coriandre » dérive du grec koriandon dont la racine proviendrait du terme Korios qui signifie « punaise » en français moderne. Si cette version est exacte, bien qu’infirmée par d’autres linguistes, elle atteste que le trauma suscité chez certains individus par cette « herbe de l’enfer », remonte à loin et troublait déjà l’haleine des Hellènes de l’Athènes classique.

Les hispaniques en pincent pour la coriandre

Là où les anciens posaient un regard superstitieux sur un phénomène d’autant moins compréhensible pour eux qu’il semblait scinder arbitrairement le monde en deux parties antagonistes, nos contemporains, pétris de cartésianisme, ont creusé le problème comme un taupin chercherait à résoudre une équation du cinquième degré.

À cet égard, l’étude relayée en 2012 par Flavour, déjà cité, est devenue fameuse, jusqu’à faire Loi et resurgir fort à propos dans ces dîners en famille ou entre amis où les plats généreusement condimentés jettent un froid parmi certains convives et alimentent les conversations. L’enquête commençait par mesurer la cote d’amour mondiale des feuilles de coriandre en catégorisant ses statistiques sur la base de critères géographiques et ethnoculturels : l’analyse repose sur une méthode comparative par continent et sous-ensembles régionaux.

Les plus mauvaises tendances étaient alors constatées en Asie septentrionale où 21% des habitants avouaient une aversion rédhibitoire pour l’herbe honnie. En Europe, le divorce paraissait consommé pour 17% de la population, et pour 14% des personnes interrogées en Afrique. À l’inverse, les taux de détestation les plus bas s’observaient dans les territoires sud-asiatiques (7%), chez les hispanophones (ceux d’Amérique surtout, 4%) et les peuples du Moyen-Orient (3%), régions où la coriandre est la mieux assimilée dans les traditions culinaires locales. Certains scientifiques y voyaient un rapport logique de cause à effet.

Avec ou sans gène

D’autres se sont engouffrés dans des explications d’ordre génétique, avec un certain succès puisque leur thèse, développée à la suite de l’étude publiée par Flavour, n’a jamais été contredite : ces défenseurs partent du constat que la coriandre doit son odeur et son goût particulier à un type d’aldéhyde, composé chimique qu’elle partage avec le savon, des produits d’entretien mais aussi… la punaise qui s’en sert comme d’une arme défensive pour diffuser un parfum répulsif au nez de ses agresseurs.

Or, chez les individus véritablement dégoûtés par cette plante aromatique, le gène OR6 A2 serait plus sensible que la moyenne : il s’agit d’une séquence d’ADN qui paramètre la capacité de certains de nos récepteurs olfactifs à détecter les molécules d’aldéhyde.

Pour ce public, heureusement minoritaire, l’arôme intense du savon, du liquide vaisselle ou d’insecte écrabouillé, auquel il a été confronté antérieurement à celui de la coriandre, est comme « préprogrammé » par ses neurones qui l’ont automatiquement répertorié en tant qu’élément « non comestible », d’où cette sensation d’écœurement que les personnes intéressées n’ont pas la faculté physique de réprimer lorsqu’en froissant les feuilles de la plante, celle-ci libèrent ses senteurs « piquantes ».

Les autres en revanche, porteurs d’un gène OR6 A2 beaucoup moins affûté, font instinctivement la part des choses et ne perçoivent dans la coriandre rien d’autre qu’une herbe aromatique aux exhalaisons agréablement fraîches et citronnées, à cent lieues d’un plat dans lequel un marathonien aurait infusé sa paire de chaussettes sales.

La coriandre côté jardin

Longtemps cultivée pour ses vertus médicinales – on lui prête encore aujourd’hui des propriétés digestives – la coriandre s’est progressivement imposée comme un ingrédient de premier choix dans les cuisines sud-asiatiques, méditerranéennes, mexicaines ou orientales. Ses feuilles, reconnaissables à leurs fines dentelures, sont hachées pour assaisonner les plats, ou utilisées en tant que garniture pour accompagner sautés de viande et autres rouleaux de printemps. Ses fruits, une fois séchés, torréfiés et moulus, entrent dans la composition de nombreux mélanges d’épices, tels que le garam masala indien, le zaatar du Moyen-orient, et bien sûr le fameux curry.

Rustique et facile à entretenir, la coriandre s’adapte parfaitement à nos climats tempérés, frais à modérément chauds. Au jardin, réservez-lui un emplacement bien ensoleillé dans un sol léger et humifère, si possible à l’abri des courants d’air. Sa croissance est rapide : la plante atteint en effet sa maturité deux mois environ après un semis de printemps (après les derniers risques de gelées, en avril dans les régions du sud, à partir de mai dans la partie nord).

Voir nos conseils de culture.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *