Le curcuma, épice sanitaire ou culinaire ?

Plusieurs thèses scientifiques, habilement relayées par les marchands de santé, vantent les mille et une vertus médicinales de l’épice dorée, ingrédient vénéré en Inde dont il farde le curry national de sa couleur jaune orangé si caractéristique, souvent confondue par ailleurs avec celle du safran. Dans ce bouquet de promesses phytothérapiques émises avec plus ou moins d’artifices par certains blogueurs et naturopathes, quelle est la part d’info, d’intox ou de poudre aux yeux ?

Si la cannelle est tirée de l’écorce du cannelier, le clou de girofle de la fleur du giroflier, le poivre du fruit du poivrier, le curcuma provient de la racine du…Curcuma, herbacée d’un mètre de haut sans doute originaire d’Asie du sud-est, répertoriée avec d’autres épices au sein de la grande famille des Zingibéracées.

A l’instar de deux de ses congénères – le gingembre et le galanga – le curcuma est obtenu par broyage des rhizomes, tiges souterraines boursouflées de bourgeons et de nœuds qui font office d’organe de réserve, gorgé d’éléments nutritifs.

Le curcuma, des règles d’or ?

Depuis des millénaires, cette poudre d’or est entourée d’une aura particulière qu’elle doit aux propriétés médicinales mises très tôt en évidence par les grands textes sacrés et autres pharmacopées rédigés par les civilisations indiennes et chinoises :  dans son très ancestral Atharva-Véda, l’hindouisme préconisait déjà les massages thoraciques à base de curcuma pour soigner les malaises cardiaques, tandis que le Pen-ts’ao, un des plus vieux traités de médecine au monde, attribué à un héros légendaire du futur Empire du Milieu, recommandait l’usage de l’épice jaune pour soulager les douleurs articulaires.

Au fil des siècles, et à mesure qu’il se propageait à l’ensemble des terres asiatiques, jusqu’à son introduction progressive en Europe par le truchement des marchands arabes du Moyen Âge, le curcuma a toujours été précédé de la plus saine des réputations, adroitement exploitée d’ailleurs par les médecins et apothicaires de l’époque : lutte contre les gaz intestinaux et les coliques néphrétiques, traitement de la jaunisse et du scorbut, remède miracle administré aux femmes souffrant de douleurs menstruelles ou confrontées à un accouchement difficile.

Que dit l’OMS ?

Sous l’influence des promoteurs du curcuma, l’éventail des bienfaits imputés la plante s’est élargi à beaucoup d’autres types d’affections au cours des dernières décennies (asthme, toux, calculs urinaires, problèmes de peau, diabète et même Alzheimer). Certains ont été très partiellement validés par l’Organisation Mondiale de la Santé : l’agence rattachée à l’ONU juge ainsi « cliniquement justifié » l’emploi de l’épice asiatique pour soigner « les digestions difficiles provocant hyperacidité et flatulences ».

En revanche, son indication dans le traitement de « l’arthrite, des ulcères gastriques, des règles douloureuses ou irrégulières, de la diarrhée ou des maladies cutanées » relève, selon l’OMS, de la médecine traditionnelle, terme générique qui englobe les thérapies préventives et curatives fondées sur la mise en œuvre de méthodes non-scientifiques : solutions à base de plantes, exercices corporels ou spirituels (yoga) ou pratiques très anciennes comme l’acupuncture.

Curcumine : les « pour »

L’engouement croissant pour le curcuma a suscité à la fin du XXᵉ siècle quelques litiges juridiques entre des laboratoires américains et les autorités de New Delhi : en 1993, le Conseil Indien de la Recherche Scientifique et Industrielle (CSIR) avait été jusqu’à contester un brevet déposé par le centre médical de l’Université du Mississippi (États-Unis) qui souhaitait se réserver l’utilisation de l’épice dorée à des fins médicinales. L’Inde justifia sa position par l’antériorité de ses connaissances sur le sujet, soutenant que sa médecine traditionnelle – l’Ayurveda  -exploitait depuis des siècles les vertus thérapeutiques du curcuma.

En 2014, le centre d’oncologie Jean-Perrin de Clermont-Ferrand avait initié une étude clinique destinée à démontrer que l’association du curcuma et de la chimiothérapie augmentait l’efficacité du traitement contre la maladie tout en réduisant ses effets indésirables sur le patient, notamment dans les cas des cancers de la prostate métastasique.

À ce rôle d’adjuvant, s’ajouterait celui d’inhibiteur apte à prévenir l’apparition ou freiner le développement de certaines tumeurs : toujours d’après les médecins auvergnats, l’une des principales substances actives de l’épice aurait des vertus « apoptotiques », processus biologique qui conduit à l’autodestruction des cellules malsaines.

Quelle est cette molécule magique ? Il s’agit de la curcumine, un composé organique classé dans la famille des polyphénols, substances produites naturellement par les végétaux pour renforcer leur immunité face aux agressions extérieures. Le curcuma en concentre trois types, parmi lesquels la curcumine est largement prépondérante (80%). Elle confère au rhizome et à l’épice qui en est extraite, sa couleur jaune orangée.

Combinée aux deux autres curcuminoïdes sécrétés par la plante, elle est également à l’origine des principaux effets antioxydants attribués au curcuma longa, l’espèce la plus communément cultivée et consommée sur les cinq continents.

Bienfaits de la curcumine : des preuves insuffisantes ?

Malgré des millénaires d’utilisation, et des résultats probants enregistrés dans le traitement de certaines maladies, toujours en complément de médicaments conventionnels, le curcuma compte son lot de sceptiques. Et pas des moindres : les flèches le plus affûtées proviennent, sans surprise, de milieux scientifiques, voire d’associations de consommateurs qui soupçonnent les « vendeurs de gélules » de profiter de la crédulité du public.

Les contempteurs les plus rudes soutiennent qu’une très faible proportion des études visant à identifier et prouver les effets bénéfiques du curcuma, respectent les canons de la méthode scientifique*. En 2017, une méta-analyse réalisée par trois chercheurs en comptabilisait seulement 120 sur les 15 000 disponibles dans la base de données PubMed (il y en a plus de 17 000 aujourd’hui). Et, d’après les auteurs, aucune des études, pourtant conformes aux règles du protocole expérimental, n’aboutit à un résultat supérieur à l’effet placebo.

Pire : Bharat Aggarwal, un biochimiste américain dont les recherches sur la curcumine ont longtemps fait autorité, fut accusé en 2012 d’avoir manipulé des données, au point que plusieurs dizaines de ses publications ont dû être retirées de la littérature scientifique, ou corrigées.

Autres observations susceptibles d’alimenter le moulin des plus méfiants : peu soluble dans l’eau, la curcumine est très difficilement absorbée et dissoute par notre tube digestif. Par ailleurs, l’organisme humain la métabolise rapidement la molécule, ce qui réduit d’autant sa capacité d’action.

Enfin, la quantité globale de curcuminoïdes mesurée dans le Curcuma étant très faible (2 à 5% de son poids), il faudrait en consommer 20 à 100 grammes par jour pour atteindre les volumes utilisés dans les études scientifiques !

Le curcuma au jardin et en cuisine

Si des interrogations légitimes subsistent sur sa fonction médicinale, doutes qui vont à l’encontre des acquis culturels, indiens ou chinois, les qualités culinaires du curcuma restent au-dessus tout soupçon : derrière l’esthétisme de sa couleur, sa saveur légèrement amère et poivrée en font un ingrédient-clé de l’incontournable curry, mais aussi de soupes, marinades, sauces et du lait d’or, boisson très populaire en Inde.

Au jardin, le curcuma nécessite un arrosage régulier, surtout pendant les périodes sèches, mais sans excès pour éviter la pourriture des rhizomes. La plante met environ 7 à 10 mois pour atteindre sa maturité, selon le climat et les conditions du sol. Durant cette période, les feuilles ont développé une couleur vert intense, et les plantes peuvent atteindre jusqu’à un mètre de hauteur.

Voir nos conseils de culture, sur le site de La Bonne Graine

*La « randomisation » par exemple reposant sur une méthode comparative entre plusieurs groupes de cobayes, n’est pas systématique, et beaucoup de rapports résultent d’études n’ayant pas dépassé le stade « préliminaire ».

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